Préambule :
Cette série de posts prend son inspiration chez Bernard Stiegler et l'équipe d'Ars Industrialis avec Marc Crépon notamment, mais aussi chez Dany-Robert Dufour. Elle passe encore par Multitudes (Yann Moulier-Boutang, Lazzarato...) et bien sûr par Derrida, Deleuze, Guatarri et sans oublier leur maître à tous, Michel Foucault.
Chapitre 1 : De la prolétarisation
Une des grandes limites du capitalisme prend sa source dans la transformation de l’ouvrier en prolétaire. Victime du Taylorisme, il n’a plus la vision globale de sa production, puisque celle-ci est désormais divisée et structurée par la spécialisation. Il va échanger son temps contre de l’argent. Son rapport à l’objet de sa production en est considérablement modifié. L’ouvrier ne produit plus mais « vend » son temps à son employeur.
Il a progressivement transféré son savoir dans la machine. Ce transfert de savoir est la caractéristique de la prolétarisation mis en lumière par Karl Marx avant 1850.
La théorie de Marx est non seulement toujours d’actualité, mais elle se renforce de jour en jour. Nous sommes aujourd’hui (presque) tous des prolétaires. Nous sommes tous des prolétaires, du simple ouvrier au top management car nous ne voyons pas la finalité de notre travail au delà de subvenir à notre propre subsistance. Cette finalité est même devenue consubstantielle à la notion même du travail. Ce constat à été mis en valeur par Patochka.
Pour se soigner, le malade doit prendre conscience de sa maladie. Nous devons impérativement prendre conscience que nous sommes prolétarisés.
Prolétaire ne veut pas dire pauvre. Prolétaire signifie que nous avons perdu une partie de notre raison d’être. Cette raison d’être s’est dissipée dans la machine.
Aujourd’hui encore, le travail de prolétarisation se poursuit dans la sphère culturelle. Les industries de programme, Hollywood, la publicité, en fait tous les hypomnématas sédimentairement mémorisées séquestrent le pouvoir de la pensée et privent l’homme une nouvelle fois de sa propre production intellectuelle.
Cette altération de son rapport à sa propre production va constituer la première cause de la « perte d’attention » qui constitue la pierre angulaire de la théorie de Bernard Stiegler. La perte d’attention, ou le « misartung », c’est tout simplement la perte de l’intérêt porté à sa production. On va le voir, cette perte d’attention aura des conséquences profondes et irréversibles sur l’histoire de l’humanité au XXI siecle, car cette perte d’attention sera la cause de la perte de soin apportée aux choses, la perte de soin apportée à soi-même et enfin la perte de soin apportée à la planète sur laquelle nous vivons.
L’enjeu n’est pas la réappropriation des moyens de production par la classe ouvrière, ce serait une erreur. C’est en ce sens que le communisme, quelque part, a été une erreur dans sa mise en oeuvre, et a entraîné dans sa perte la théorie marxiste qui n’était qu’une théorie et en aucun cas une mise en pratique. Sa mise en pratique a visé à faire en sorte que la propriété des moyens de production change de mains sans se préoccuper du but de la production elle-même. On sait aujourd’hui que cette production, donc cette croissance, n’était pas viable à terme.
La prolétarisation touche tout le monde, y compris la bourgeoisie. Et c’est précisément pour cela que quelque chose reste possible. A l’instar de 1789, et à n’en point douter nous savons que la révolution française est définitivement close aujourd’hui, la réinvention d’une nouvelle industrie, et il s’agit bien de ré-inventer une nouvelle industrie et surtout de ne pas s’opposer à l’ancienne ce qui serait une erreur, la réinvention d’une nouvelle industrie passe par la collaboration de l’ensemble de la classe bourgeoise et pas uniquement la collaboration du monde ouvrier.
La dé-prolétarisation, nous le verrons, devra emprunter les voies du capitalisme et faire appel à un « ré-enchantement » des âmes (une nouvelle libido) qui, du fait du Taylorisme, sombrent un peu plus chaque jours dans une impasse psychologique.
Ne pas voir la finalité de son travail, ce n'est pas une prolétarisation, il ne faut pas confondre. C'est plutôt une sorte de fonctionnarisation - et là aussi, les sociétés libérales telles que les USA sont extrêmement proches des sociétés "socialistes" telles que l'ex-URSS. Et la machine n'est pas la raison profonde du phénomène.
Voir le début du billet suivant : http://thierry-klein.speechi.net/2005/07/20/quelques-causes-morales-de-la-crise-des-elites/
Rédigé par : Thierry | 11 novembre 2008 à 20:09